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PROJET - SON
(Mai 1976)
pour PIÈGES A FOURRURE d'Alain Robbe-Grillet *
La synthèse directe des sons par ordinateur, permet d'envisager aujourd'hui, la
réalisation de sons « in-ouïs », tant dans le domaine des sons réels, iconiques,
que dans le domaine des sons musicaux, instrumentaux.
De plus, et il s'agit là d'un atout capital pour l'élaboration de la partition
sonore du film, l'ordinateur peut construire, dans certaines conditions, une
collection de sons intermédiaires entre deux événements sonores donnés. Partant
du son que fait une porte qui se ferme, on peut aboutir à une note tenue de
flûte, par exemple, sans que, pour autant, on puisse percevoir de différence
notable entre des sons intermédiaires contigus.
Le processus de synthèse "hybride» (sons réalisés par un synthétiseur) définira
une deuxième partition dans l'ensemble des matériaux sonores exploités dans le
film. Réalisée en temps réel, la combinaison de leurs différents paramètres
(hauteur, intensité, timbre) est plus rapidement contrôlable et se trouve, de
fait, participer d'une conception plus traditionnellement instrumentale.
Les trois types de sons formant le continuum sonore du
film, sont donc ainsi définis:
1. - son directement construit par ordinateur
2. - son construit par synthétiseur
3. - son réel - iconique.
Si l'on ajoute que l'emploi du Vocoder (synthétiseur de voix) établit une
continuité entre ces trois types de son et celui de la voix parlée, on
constatera l'existence d'un espace sonore parfaitement homogène.
Paru dans Minuit 18.
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Chaque signe-image de la série génératrice (A : Des pas, B : Fourrure, C :
Ouverture, etc.) sera affecté d'un indice son, se situant dans l'une des trois
catégories qui viennent d'êtres définies et constituant d'une série spécifique.
Certains (A : Des pas, E : Cri, H : Ruissellement) sont naturellement de nature
iconique; d'autres (B : Fourrure, J : Tache visqueuse) non secrétés par l'image,
seront produits par synthèse - directe ou hybride. Il est prévu que leur mode de
construction tienne compte de leur place dans la série originale. Ainsi « Tache
visqueuse» 0) pourrait être un son intermédiaire entre « Ruissellement» (H) et «
Des pas » (A).
Indépendamment des procédures de composition d'ordre essentiellement musical
(développement, variation, etc.), des dispositifs pourront se constituer,
sériellement, en «attitudes sonores » facilement repérables. Citons, à titre
d'exemple, la réverbération, la modulation en anneaux, la modulation de forme.
Cette série dérivée de la série génératrice et ne comportant pas forcément le
même nombre d'éléments, sera facteur de perversion. En effet, l'interaction des
différents niveaux structurels peut amener à utiliser la réverbération sur une
image dont elle devrait « naturellement » être absente aussi bien que d'en
ressentir le manque dans un décor qui, manifestement, devrait la provoquer
(Eglise, Hall de gare).
De même que l'organisation sérielle propre aux indices-son les déliera vite de
l'image qu'ils signaient dans l'exposition de la série génératrice, de même on
peut aisément imaginer la richesse des effets d'anecdote, produite par le
travail sériel spécifiquement sonore dès l'instant qu'il proposera un choix
diégétique non prévu.
Cet aspect aléatoire, (ou plus exactement ouvert) du récit, est des plus
importants; ne peut-on le considérer comme l'application formelle du : « ...
bruit parasite dû à la transmission et troublant le message, alors qu'il en
constituait au contraire la principale information. »
Et dans cette perspective, qu'annonçait 'le double « Eden et après-N a pris les
dés », poursuivre l'expérience du Livre de Mallarmé ou celle de Boulez dans sa
3ème Sonate pour Piano, c'est-à-dire considérer les neufs bobines du film comme
neuf segments permutables, eux aussi.
Si l'on peut limiter le nombre de lectures possibles du film, par certaines
contraintes dans l'ordre d'apparition des bobines (permanence de la 1ère et de
la dernière, par exemple) le spectateur restera néanmoins concerné par de
multiples itinéraires à l'intérieur de cette œuvre « piège ». Il reste à
définir, sans doute, les limites numériques de ces possibilités, leur degré de
prévision, les critères de contrainte.
Il serait souhaitable que la partition sonore puisse être conçue, réalisée et
diffusée en stéréophonie bi-piste (compatible mono). Le procédé actuellement
utilisé· donne toute satisfaction et le champ structurel du film, prenant alors
en compte l'espace sonore, s'en trouverait encore renforcé.